Le reporting est-il un outil de démotivation ?
Il est souvent vécu comme une contrainte pure, chronophage et fastidieuse :
- Ça prend du temps et ça ne sert à rien
- On le fait parce qu’il le faut bien
Un exercice imposé « qui ne sert à rien » a un effet profondément démobilisateur. Est-ce une fatalité ? Pas si sûr.
Produire le reporting : quelle corvée !
30 janvier au service juridique.
- Bonjour l’équipe ! N’oubliez pas le reporting mensuel.
- Ah oui, le reporting… J’ai commencé à regarder. Je te l’envoie demain
- Ce n’est vraiment pas le moment mais bon, je vais m’y mettre
Roger, le directeur quitte la pièce. Les juristes sont agacés :
- Il nous redemande les infos alors qu’il a déjà tout à disposition dans le logiciel. Il pourrait faire un effort !
- Je n’ai pas le temps !
- Pourquoi ce flicage ? Pourtant il nous fait confiance !
- Je ne devrais pas faire de tâches administratives qui n’ont rien à voir avec mon travail.
- À quoi ça sert ?
Roger regagne son bureau et se dit :
- Ils savent tous que j’ai besoin de ce reporting tous les mois, et tous les mois il fait que je les relance 3 fois. C’est pénible ! Comment les motiver ?
Tout n’était pas prévu
31 janvier.
Tout le monde a communiqué les chiffres et l’état des lieux demandés sauf Paulette, qui n’est pas encore arrivée.
Chacun a fourni à Roger un document à sa convenance : Word, Excel, pdf extrait du logiciel de suivi. Pour être sympa, Roger n’a pas d’exigence sur la forme et effectue systématiquement un travail de reformatage et de consolidation. Il ne veut prendre aucun risque de braquer ses collaborateurs déjà réticents à l’exercice et dégrader l’ambiance.
- « Allo, c’est Paulette ». J’ai eu un accident de moto. Rien de très grave, un bras cassé quand même. Je suis encore à l’hôpital et je suis arrêtée pour un mois. Je n’oublie pas ton reporting. J’ai commencé à consolider mes infos sur papier. Je pense qu’il est dans mon classeur jaune. Je n’ai pas tout à fait fini mais presque, ça devrait aller. Je te laisse, voilà le médecin. Appelle-moi si c’est nécessaire.
- Mince, quelle histoire ! Prends soin de toi, je te rappelle dans l’après-midi quand tu seras rentrée chez toi. Pour le reporting, ne t’inquiète pas, on va se débrouiller.
On se mobilise pour Paulette !
« On va se débrouiller ». C’est vite dit. Il faut une demi-heure à Martine, la collègue de Paulette pour mettre la main sur le classeur jaune. Qui, en fait, était plutôt orange.
Pas évident non plus d’y retrouver la feuille sur laquelle Paulette a gribouillé quelques infos difficiles à lire. S’agit-il bien du mois de janvier ? il n’y a aucune date.
Beaucoup de temps perdu, mais ça y est, à midi, Roger a presque achevé sa consolidation. Les chiffres de Paulette sont incomplets mais bon, cet après-midi, il va rechercher les données manquantes. La priorité du moment, c’est d’appeler Paulette pour prendre de ses nouvelles. Il ne va pas l’embêter avec le reporting.
Paulette va plutôt bien. Et puisque Roger ne lui pose aucune question à propos des données de janvier elle n’en parle pas non plus.
Roger se met en quête des informations complémentaires dans le logiciel et c’est plus difficile que prévu car Paulette n’est pas à jour dans ses saisies. À la fin de la journée, il a pris du retard sur ses dossiers, il a sollicité plusieurs personnes de l’équipe, son tableau de bord est toujours partiel. Il va devoir faire avec.
1er février.
Roger s’attaque à la mise en forme. L’un des chiffres fournis par Martine lui semble bizarre. Il l’appelle pour en avoir le cœur net : effectivement, Martine a fait une erreur de saisie. Dans l’agitation de la veille, c’est compréhensible. Il rectifie la valeur et le sujet est clos. Il doit aussi préparer son intervention au comité de Direction. Il est en retard.
En définitive, le reporting du mois de janvier :
- A coûté plus cher que d’habitude
- A été produit en retard et a causé du retard sur plusieurs tâches
- Est de moins bonne qualité de d’habitude : moins complet et moins fiable
Comment en est-on arrivé là ?
Le service juridique dirigé par Roger a, au cours du temps, mis en place une solution de contournement pour produire le reporting mensuel. Elle n’est pas optimisée, elle ne satisfait personne, mais elle fonctionne et tout le monde s’y est habitué. C’est une solution stable mais démotivante et fragile.
Démotivante, car elle ne satisfait finalement personne, mais tout le monde fait avec. Il est plus facile de répondre à la demande en traînant les pieds que de se pencher sur le sujet.
Fragile, car un imprévu en compromet le résultat en termes de coût, délai et qualité.
En voulant être sympa et flexible sur l’organisation, Roger a accepté un risque sur un élément stratégique.
Comment motiver ? Actionner le bon levier !
Paulette se remet bien et garde le moral. Son absence a eu au moins un avantage : révéler à Roger qu’il est temps de régler quelques irritants de son organisation.
Une mission de conseil est menée quelques mois plus tard avec Roger pour son service.
L’analyse de risques met en évidence deux risques majeurs qui ont été pressentis dans « l’anecdote » du reporting de janvier.
- Risque de désorganisation en cas d’imprévu
- Risque de difficulté d’arbitrage en cas d’erreur sur les KPI
Le service juridique a par ailleurs beaucoup de points forts :
- Les juristes sont très professionnels, passionnés et engagés
- Les collaborateurs sont autonomes, la confiance règne entre Roger et son équipe
- L’ambiance est bonne, les conflits sont rares.
En prenant appui sur la confiance et la bonne ambiance, la mission débute par un atelier d’intelligence collective avec toute l’équipe. Il a pour objectif de partager des éléments stratégiques et de contextualiser le rôle du service dans l’entreprise. Cette première étape donne du sens à la « corvée du reporting » et valorise le rôle de chacun dans sa contribution à la bonne marche de l’entreprise. Roger n’a plus besoin de relancer les juristes pour obtenir les éléments du reporting mensuel.
Le travail sur l’organisation et la gestion des imprévus est plus long. Il passionne l’équipe. Beaucoup de questions « simples » sont posées qui permettent de résoudre durablement certains irritants. Lorsqu’il est achevé, l’équipe ne travaille plus en silos individuels. Le niveau de stress a fortement diminué sans toucher aux ressources disponibles ni à la charge de travail.
Le travail sur l’appropriation de l’outil informatique métier sera la prochaine étape. Elle doit être menée conjointement avec l’équipe SI pour creuser les besoins spécifiques et identifier les évolutions prioritaires à envisager sur ce logiciel qui n’est pas pratique au quotidien.
Les irritants démobilisateurs ne sont pas une fatalité
Les irritants ne sont pas une fatalité. Bien sûr, tout ne peut pas être parfait. Mais je suis convaincue qu’une contrainte qui a du sens est bien vécue. Nous acceptons tous quotidiennement beaucoup de contraintes telles que fermer la maison à clé en sortant.
La démobilisation liée reporting semblait être un sujet anecdotique à régler avec un peu de bonne volonté. Il est apparu qu’il était le symptôme de quelque chose de plus profond.
La cause racine du manque de motivation était un manque de sens et de valorisation de la tâche. Elle aurait pu être ailleurs. Cette prise de conscience a permis de mener de façon simple une action durable à fort effet de levier pour remobiliser l’équipe.
La motivation des juristes est passée de « se conformer à la règle » à « contribuer à la bonne marche de l’entreprise »
L’analyse de risque a permis d’apporter des ajustements à l’organisation. Simples à mettre en œuvre, ils ont également un fort effet de levier.
Pour aller plus loin : coaching, gérer un projet complexe, décider dans l’incertitude, se former
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